lundi 9 janvier 2012

La grande arnaque de la « TVA sociale »



Décryptage de l’Humanité du 3 janvier 2012 :
1. De la cotisation sociale à l’impôt
Réclamé à cor et à cri par le patronat depuis des années, soutenu par l’UMP (même si l’impopularité de l’affaire l’a amenée jusqu’ici à une certaine réserve), le projet de «  TVA sociale  » vise à transférer une partie du financement de la Sécurité sociale (on évoque en particulier la branche famille), actuellement assuré par les cotisations sociales, sur l’impôt. C’est une remise en question profonde du système mis en place à la Libération. La cotisation sociale, loin d’être le fardeau décrit par les libéraux, est un prélèvement sur la richesse créée, un «  deuxième salaire  » – ou salaire socialisé – redistribué aux salariés et à la population sous forme égalitaire par la Sécu. C’est ce qui justifie que celle-ci soit gérée par les représentants des salariés. Le patronat n’a jamais véritablement admis que ce pouvoir et cet argent lui échappent. Les sommes en jeu sont considérables  : le projet de l’UMP envisage ainsi 
un transfert de 30 milliards d’euros sur cinq ans. Au-delà des conséquences économiques et sociales, 
le recours à la fiscalité modifierait la nature de la Sécu  : cela ouvrirait la voie à son étatisation complète, soumettrait son financement aux arbitrages des gouvernements, permettrait ainsi de renforcer les pressions sur le niveau de la couverture sociale. Et, au final, créerait les conditions de la privatisation.
2. Nouvel habillage pour une vieille recette, 
la baisse du « coût » du travail
Ce n’est pas un hasard si le Medef en est le plus chaud partisan. Présenté sous l’étiquette séductrice, mais trompeuse, d’arme antidélocalisation, le projet de «  TVA sociale  » s’inscrit dans l’offensive engagée depuis des années par le patronat pour baisser le « coût » du travail. Un coût considéré comme le principal obstacle à l’emploi et à la compétitivité des entreprises, en «  oubliant  » au passage la facture des prélèvements opérés au bénéfice du capital (dividendes versés aux actionnaires, etc.). Cette fois, le Medef propose d’aller beaucoup plus loin  : relever de 3,4 ou 5 points les taux de TVA en contrepartie d’une réduction des cotisations patronales de 3,5 à 7,5 points et des cotisations salariales de 1,5 à 4,5 points. Le transfert global pouvant s’élever à 70 milliards d’euros. À les entendre, les entreprises ainsi allégées de cotisations pourraient baisser leurs prix, neutralisant ainsi l’effet de la hausse de la TVA et, du coup, résister aux délocalisations, d’autant que, parallèlement, la «  TVA sociale  » pénaliserait les produits importés. Un nouvel habillage pour une vieille recette déjà largement éprouvée  : voilà trois décennies que les gouvernements successifs additionnent les allégements multiformes de charges sociales, pour un coût énorme pour l’État et les contribuables (les seuls allégements de cotisations sur les bas salaires s’élèvent à 21,8 milliards d’euros dans le budget 2012), mais sans effet avéré sur le chômage ni sur la désindustrialisation.
3. Salaires et pouvoir d’achat seront amputés 
à proportion du nombre de points de TVA
L’impact de la « TVA sociale » sur la baisse du pouvoir d’achat des Français est dénoncé par la gauche. Mais aussi par la droite. Ainsi, Jean-Pierre Raffarin avait-il vendu la mèche dès 2007, alors que le nouveau président de la République Nicolas Sarkozy commençait à évoquer son instauration. Jean-Pierre Raffarin  : «  Pour moi, la TVA sociale portera probablement atteinte au pouvoir d’achat des Français.  » La plupart des associations de consommateurs notent que cette imposition serait des plus inéquitables, en faisant supporter aux consommateurs tout le poids de la réforme fiscale   : une hausse de deux points de l’actuelle TVA à 19,6 % entraînerait en effet une ponction de plus de 10 milliards d’euros sur le budget des consommateurs. Pour les carburants, l’électricité et le gaz, la ponction sur les ménages seraient majorée de 777 millions d’euros. Plus systématiquement, sur un horizon de deux à trois ans, cette réforme équivaudrait à une dévaluation dans des proportions égales au nombre de points de cotisations déplacés. Les entreprises répercuteront immédiatement la hausse de la TVA sur leurs prix. En revanche, les salaires net de charges ne s’ajusteraient pas immédiatement, les salaires réels seraient donc amputés. Si les effets bénéfiques pour l’emploi et la compétitivité sont discutables, la seule certitude serait la diminution du pouvoir d’achat des salariés.
4. Le chantage toujours répété aux délocalisations pour justifier le recul social
«  Il faut alléger la pression sur le travail et faire contribuer financièrement les importations qui font concurrence à nos produits avec de la main-d’œuvre à bon marché.  » Cette petite phrase du discours de vœux de Nicolas Sarkozy lui a permis de présenter à mots couverts la «  TVA sociale  » (sic) comme une mesure propice à éviter les délocalisations et les licenciements massifs. En somme, toujours le même refrain  : diminuer le «  coût du travail  », les «  charges sociales  » pour des entreprises plus «  compétitives  ». Toujours le même chantage, déjà entonné en novembre par la patronne du Medef avec son «  pacte fiscal et social  ». Or, de nombreux dispositifs d’exonération existent déjà  : réduction Fillon sur les bas salaires, exonération des heures supplémentaires, zones franches, suppression de la taxe professionnelle. Ils ont fait la preuve de leur inefficacité  : ils n’ont en rien évité les 4 244 800 chômeurs en novembre dernier, ni les annonces tous azimuts de fermetures d’entreprises et autres plans de licenciements. Et pour cause, si la baisse de la rémunération du travail était réellement une solution viable, le salaire minimum chinois étant inférieur à 150 euros, cela signifierait supprimer au moins un zéro à toutes les fiches de paie. Et bien davantage à celles des patrons du CAC 40, qui ont touché en moyenne 2,46 millions en 2010. En réalité, la finalité de telles mesures est bien plus de permettre aux actionnaires de s’accaparer une part plus importante des richesses produites que de sauvegarder l’emploi.
5. Déshabiller la Sécurité sociale pour gaver l’assurance privée : Sarkozy copie Reagan
«  Nicolas Sarkozy commence sa campagne par le programme du Medef.  » Benoît Hamon n’a pas eu à se creuser la tête pour fustiger la « TVA sociale ». La droite prépare depuis longtemps l’abandon de la solidarité au profit d’une «  responsabilité individuelle  »  : moins d’État, plus de privé, c’est le credo reaganien des années 1980.
Selon Nicolas Sarkozy, il existe «  des nouveaux besoins sociaux dont la couverture ne peut reposer exclusivement sur la solidarité nationale  », comme il l’a déclaré devant le congrès de la Mutualité française, en juin 2009. Il acte une profonde modification du système de financement de la Sécurité sociale, non plus par un prélèvement à la source de la création de richesses (les cotisations sociales) mais par l’impôt, soumis à arbitrage politique  : en période de rigueur, il est aisé de tailler dans les dépenses de santé.
Lors d’un entretien télévisé, le 16 novembre 2010, le chef de l’État exposait la réforme gouvernementale du projet de loi de financement de la Sécurité sociale. «  Faut-il faire un système assurantiel  ?  » glisse-t-il, faussement naïf, dans son intervention. Privilégier l’assurance privée, qui finance déjà «  12,5 % des dépenses françaises de santé, un record en Europe  », rappelle le site Déchiffrages, est la seconde étape du processus. Rappelons que le patron de l’assureur privé Malakoff Médéric n’est autre que Guillaume Sarkozy, frère aîné du président de la République. Les intérêts de classe s’accommodent aussi des intérêts familiaux.
6. D’autres pistes pour la compétitivité 
et pour la Sécurité sociale
Il y a d’autres voies que la fuite en avant dans la baisse du coût du travail, aussi dangereuse économiquement qu’injuste socialement, pour assurer la compétitivité de notre économie, tout en garantissant le financement d’un haut niveau de protection sociale. Davantage que par le dumping social, l’efficacité des entreprises passe par la formation, la sécurisation de l’emploi, la reconnaissance du travail des salariés. Elle implique, fondamentalement, de remettre en cause la logique court-termiste de la rentabilité financière, l’emprise mortifère du capitalisme financier, et de se doter des moyens d’une maîtrise publique du crédit en créant, par exemple, un pôle public bancaire, afin de placer le travail, l’activité économique utile, avant l’intérêt de l’actionnaire. Car ce sont bien les charges financières qui plombent les entreprises, et non le financement d’une protection sociale qui constitue, au demeurant, aussi un atout économique. En la matière, Nicolas Sarkozy en est resté, au mieux, au niveau des belles paroles, comme le montre le serpent de mer de la taxation des transactions financières. Quant aux délocalisations, «  pas besoin de “TVA sociale”  » pour lutter contre, «  on met des visas d’entrée aux marchandises  », avançait hier le candidat du Front de gauche, Jean-Luc Mélenchon. Soigner ainsi l’emploi, l’industrie, et revaloriser les salaires, voilà, du même coup, les meilleurs moyens de répondre aux besoins de financement de la Sécu.